Guignol
11,00 €
Guignol Député
Jules Coste-Labaume
138 x 204 mm – 62 pages – Texte – Noir et blanc – Broché
11,00 €
Guignol Député
Jules Coste-Labaume
138 x 204 mm – 62 pages – Texte – Noir et blanc – Broché
Cette pièce fut écrite, représentée et éditée en tirage restreint pour les anciens élèves du Lycée de Lyon en 1883. Beaucoup de références internes à la vie scolaire y sont faites. Nous avons choisi de garder le texte original sans chercher à en faire une adaptation, adaptation qui deviendrait rapidement obsolète de toute façon. D’où cet appareil de notes assez conséquent, qui, malgré cela, laisse un certain nombre de noms et expressions inexpliqués.
À propos du texte, il est intéressant de voir l’auteur re- fuser de s’effacer et vouloir se positionner par rapport à Guignol et la tradition du personnage. Il le fait vivre dans ses tribulations politiques, mais n’hésite pas, surtout au troisième acte, à le confronter aux réalités sociales de cette fin du XIXe siècle et à faire sentir sa propre position, qui, même si elle n’est pas aussi tranchée que celle du « groupe n°87 », s’en trouve tout de même un peu plus sociale que celle de Guignol…
Acte 1
Scène 1
Guignol, seul
La scène représente la chambre de Guignol.
GUIGNOL
Eh ben, z’enfants, en v’là z’une manigance ! — Maginez-vous, les gones1, que c’t’intrigant de Gnafron n’a t’y pas z’aeu l’idée de vouloir me faire nommer député ! Guignol député, ah mes pauv’s belins !2 Mais gn’y aurait de quoi faire tordre les côtes au cheval de bronze3 et l’homme de la Roche4 n’en aggraferait la courante à feurce de rigoler.
– Te comprends ben, pauv’vieux, ai-je rebriqué5 à Gnafron, quand y m’a glissé dans le tyau de l’oreille c’t’évention infescieuse, te comprends ben que j’ai tout de ce que manque pour un député, et y faut que les z’harnais de ta comprenette soyent dépontelés6 en plein, pour qu’il y pousse de ces gandoises7 de Château Floquet8 ou de Bron par Venissieux !9 Faudra que je t’arrecommande à M’sieu Carrier, un gone que douche les iragnes10 au plafond, jusqu’à ce qu’on guarisse ou qu’on en crevogne.11
– Et pourquoi donc que te ferais pas un député, me repique Gnafron. Est-que t’es pas yonnais ?
– Yonnais de père en fils, pauv’vieux, né natif de Saint-Georges,12 comme pp’a et m’man; nous ons tous ouvert les chassis,13 depis quinze cents ans, sus la même suspente, (avec attendrissement) dans le même pucier ous’que nous roupillons aujord’hui avé Madelon du sommeil de l’innocence. Gn’a là de bardanes14 que descendent des Croisades ! Te vois ben que pour Yon- nais, je sis un franc Yonnais et qu’on pourrait se lanticaner15 de Vaise en Perrache, en passant par la montée Rey, la Boucle, la rue Moncey, le Gorguillon et Tire-cul sans appincher16 un matru17 canezard18 pus pur que Guignol.
– Est-ce que te sais pas lire ?
– Que si ben, mais j’ai pas z’été pus loin que l’arpha- bet et j’ai jamais fait me z’hurmanités ni ma restaurique avé M’sieu Bonnel.19
– Est-ce que te sais pas écrire ?
– Gn’a M’sieu de Finance qu’avait essayé de m’ap- prendre la coulée, la ronde et la grossetrique,20 mais je sis quasiment resté aux barres, et quand Madelon me fait griffarder21 ses ouches22 de blanchissage, je l’y al- longe de lettres hautes comme le clocher de Saint- Georges23 et que s’en vont en zigzag comme de ba- taillons scolaire.
– Mais te signes ben ton nom ?
– Parfaitement, avé ma trique et mon sarsifix24 pour la pataraphe !25
– Te sais aussi compter ?
– Certainement, à la Dauphinoise; (il fait le geste de rafler) seulement M’sieu Lorenti m’a jamais appris les marthématiques espéciales pus loin que la meurtiplication, pace qu’on dit comme ça que la chiffre ça dépontèle la jugeotte.
– Te parles ben Français ?
– Le Gorguillonnais que te veux dire ! Pour ça j’en réponds, te n’as qu’à demander à Puitspelu et à M’sieu Onofrio26 que nous étions tous de collagne27 ensemble à l’Arcadémie.28
– Te sais nager ?
– Nager pauv’vieux ! Fallait me voir piquer de têtes à la Mort Qui Trompe29 ou faire mes agottiaux30 chez Marmet;31 en me feurçant un peu, je pourrais remonter le Rhône jusqu’à Cordon.
– Enfin te n’as z’aeu la gale ?
– Naturellement. Et que c’est M’sieu Gailleton32 que m’a sogné et que m’a guari avé de pommade qu’emboconnait33 si tellement que je n’en aurais dégobillé la Maison de Ville et le Dôme de l’Hôpital.
– Alors que me dit Gnafron, en manière de finir, pisque t’es yonnais, que te sais lire, écrire, compter, nager et que t’as z’aeu la gale, qui donc que pourrait mieux arreprésenter Lyon, Saint-Georges, la Croix- Rousse, la Guille34 et la montée de z’Épies ? Te vois ben, grande bugne,35 que jamais nous n’aurons eu un meilleur indéputé. Laisse-moi seulement trafuser36 c’te trame et tordre c’te chaîne.
Gn’avait rien à rebriquer37 à ce raisonnement et pis comme Gnafron esse têtu comme toutes les bourriques de Saint Antoine, je me sis pensé que fallait pas le contrasser38 à rebroussepoil. Je l’y ai siné un grand papelard qu’y z’appellent comme ça mandat pératif,39 où je sais pas tant seulement ce qu’y gn’a dessus, pace qu’on dit qu’après on peut se torcher le pif avec… Eh v’la ! mes pauv’s cavets,40 comment je sis à c’t’heure d’aujord’hui dans la transpiration de l’attente. C’est dans ce mement qu’on dépouille l’escrutin, et je me sens tout melachon41 de penser que le nom de Guignol sortira p’t-être de c’te boîte à malice. Mes guibolles n’en flageollent, et j’ai de gargouillements dans l’estome comme un Machabée qu’aurait avalé un gor- geon sous le pont de l’hôpital. Ecoutez voir les gones, me semble que j’entends le galoubet de Gnafron.
1. Gones : enfants, Lyonnais.
2. Belins : chéris, agneaux.
3. Cheval de bronze : la statue de Louis XIV, place Bellecours, à Lyon.
4. L’Homme de la Roche : statue d’un bienfaiteur allemand du XVIe siècle toujours présente sur les quais de Saône.
5. Rebriqué : répliqué.
6. Dépontelés : délabrés.
7. Gandoises : plaisanteries, farces.
8. Château Floquet : (Antiquaille) Rattaché aux Hospices Civils, sur la colline de Fourvière, on y traitait les démences par maladies vénériennes.
9. Deux autres hôpitaux traitant les maladies mentales.
10. Iragnes : araignées.
11. Crevogne : crève.
12. Quartier canut sur le bord de Saône.
13. Chasis : yeux.
14. Bardannes : punaises de lit.
15. Lanticaner : se balader, flâner.
16. Apincher : apercevoir, surprendre.
17. Matru : chétif.
18. Canezard : canut
19. M. Bonnel : professeur de rhétorique. Lui et tous les autres noms cités furent professeurs au lycée de Lyon.
20. Grossetrique : gothique
21. Griffarder : écrire.
22. Ouches : notes de crédits.
23. Église des quartiers canuts sur le bord de Saône.
24. Sarsifix : salsifi – le catogan de Guignol.
25. Pataraphe : paraphe.
26. Auteurs Lyonnais célèbres pour leurs travaux de sauvegarde de la culture et du patois lyonnais.
27. De collagne : ensemble.
28. L’Académie : l’Académie du Gourguillon, bien sûr…
29. Actuel quai Saint Antoine. Selon certaines sources, le nom viendrait d’un puissant tourbillon de la Saône, surnommé «la Morte» situé tout à côté.
30. Faire mes agottiaux : patauger.
31. Les Marmet étaient une dynastie de marinier et maîtres nageurs remontant au début du XVIIIe siècle.
32. Antoine Gailleton, chirurgien et maire de Lyon.
33. Emboconnait : puait.
34. La Guille : la Guillotière.
Poids | 110 g |
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Dimensions | 6 × 138 × 204 mm |
Disponible | Oui |
Genre | Théâtre |
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