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15,00 €
Comédies
Jules Renard
Comprenant : Le Plaisir de Rompre, Le Pain de Ménage – M. Vernet
138 x 204 mm – 114 pages – Texte – Noir et blanc – Broché
15,00 €
Comédies
Jules Renard
Comprenant : Le Plaisir de Rompre, Le Pain de Ménage – M. Vernet
138 x 204 mm – 114 pages – Texte – Noir et blanc – Broché
ACTE PREMIER
À Paris. Neuf heures du soir. Un petit salon qui prouve que, si monsieur Vernet est riche, madame Vernet a du goût. Baie à droite, porte au fond ; à gauche, drapé sur un chevalet, le portrait de madame Vernet. Monsieur Vernet se promène.
Madame Vernet range un dernier tiroir.
SCÈNE I
Monsieur Vernet, Madame Vernet
M. Vernet : As-tu donné des ordres à Honorine ?
Mme Vernet : Oui. Tu es sûr que M. Henri viendra ?
M. Vernet : Il me l’a promis, à la salle. Je lui ai dit que nous allions quitter Paris deux mois. Il veut nous serrer la main avant notre départ.
Mme Vernet : Il veut, parce que tu l’as invité.
M. Vernet : Oui, tantôt je l’invite, tantôt il me dit : « Monsieur Vernet, puis-je vous faire une visite ce soir ? » et je réponds : « Vous nous ferez plaisir à madame Vernet et à moi. » Ça se passe naturellement. Nous devenons des amis.
Mme Vernet : Déjà !
M. Vernet : Je me lie rapidement avec ceux qui me plaisent, et je me délie, avec la même rapidité, aussitôt qu’on me déplaît. Je déteste les bonjours et les bonsoirs qui n’en finissent plus. Ça ne m’a pas empêché de faire fortune dans la soierie.
Mme Vernet : Comment M. Henri, qui est pauvre, peut-il fréquenter une salle d’armes ?
M. Vernet : La nôtre n’est pas chère. Elle l’est pour moi, parce que je lui fais quelques cadeaux. J’offre une tenture, une panoplie, un bronze. J’ai poussé Martinet à fonder cette salle. C’est le moins que je le soutienne.
Mme Vernet : Tu as raison.
M. Vernet : Elle va très bien, notre petite salle. Nous songeons même à l’organiser comme un cercle et à choisir un président parmi nous. M. Henri m’aide à attirer des élèves. Il a de jeunes relations. Il représente. On s’amuse et ça me fait du bien. De six à sept, quand je quitte le magasin, où je n’avale que de la poussière, un bon assaut, suivi d’une bonne douche, me remet. Tu ne trouves pas que je me porte mieux ?
Mme Vernet : Si.
M. Vernet : Je fonds.
Mme Vernet : Tu ne grossis plus. Mais tu bois trop. C’est effrayant ce que tu as bu à dîner !
M. Vernet : J’avais tiré avec Henri.
Mme Vernet : Tu l’appelles Henri tout court ?
M. Vernet : Quelquefois, quand il a reçu la pile, comme ce soir ; ça t’offusque ?
Mme Vernet : Moi, non, mais lui ?
M. Vernet : Il est charmant.
Mme Vernet : Et il te charme de plus en plus.
M. Vernet : Par sa jeunesse, sa gaieté…
Mme Vernet : Tiens !
M. Vernet : Pas toi ?
Mme Vernet : Je veux dire que ce qui me frappe en lui, ce sont ses tristesses. Brusquement, au milieu d’une phrase, il devient triste ! triste ! Ça impressionne.
M. Vernet : Ah ! moi je le trouve gai. Il en a pour nos deux goûts.
Mme Vernet : Je ne le crois pas heureux.
M. Vernet : Les soucis de son âge.
Mme Vernet : Comment vit-il ?
M. Vernet : Comme un jeune homme qui a une belle instruction et pas encore de métier. J’imagine qu’il reçoit un peu d’argent de sa famille. Il donne quelques leçons. Il travaille pour lui.
Mme Vernet : À quoi ?
M. Vernet : Je ne sais pas au juste.
Mme Vernet : Il poursuit ses études ?
M. Vernet : Probablement.
Mme Vernet : De hautes études ?
M. Vernet : Oh ! sans doute.
Mme Vernet : Il ne t’en parle jamais ?
M. Vernet : Non, et je ne l’interroge pas. Il m’en parlera lorsqu’il voudra. Ça le regarde. Pourvu qu’il soit fort aux armes !
Mme Vernet : Moi, je le soupçonne d’être artiste.
M. Vernet : Artiste ! dans quel art ?
Mme Vernet : Je l’ignore ; artiste, le mot dit la chose. En tous cas, il est assez maigre pour être artiste.
M. Vernet : Ça n’a aucun rapport. Si tu m’avais vu, à son âge ! C’est le développement qui s’achève.
Mme Vernet : Ou la misère qui commence. Crois-tu qu’il dîne tous les jours ?
M. Vernet : Je l’espère. Pas aussi bien que nous, peut-être.
Mme Vernet : Sauf quand il dîne à la maison.
M. Vernet : Ça lui est arrivé une fois depuis que nous le connaissons.
Mme Vernet : Encore il a mal dîné ; tu ne m’avais pas prévenue.
M. Vernet : Non. Sous prétexte que les gens sont modestes, on ne fait pas de cérémonies avec eux. On leur offre la soupe et le bœuf, à la fortune du pot.
Mme Vernet : Ce devrait être le contraire.
M. Vernet : Je l’inviterai mieux et plus souvent l’hiver prochain.
Mme Vernet : Si tu veux. Mais prends garde !
M. Vernet : À quoi ?
Mme Vernet : À ta bonté.
M. Vernet : Je suis bon…
Mme Vernet : Tu n’es pas bête.
M. Vernet : Et surtout, je ne suis pas de ceux qu’on embête ; j’arrête à temps.
Mme Vernet, avec un regard à son portrait : Tout de même, rappelle-toi…
M. Vernet : Est-ce que M. Henri a l’air d’un chevalier d’industrie ?
Mme Vernet : Oh ! le pauvre garçon !
M. Vernet : Pauvre en effet ; d’ailleurs d’une tenue toujours irréprochable, n’est-ce pas ?
Mme Vernet : Presque élégante. Mais as-tu remarqué un détail, ses bottines ? Il marche beaucoup avec.
M. Vernet : Ça fait de la peine. Je voudrais lui être utile.
Mme Vernet : Oh ! si tu peux.
M. Vernet : Comment ? Il paraît susceptible.
Mme Vernet : Fier même.
M. Vernet : Je n’ose pas lui proposer un emploi dans mes bureaux. Il ne me demande point d’argent. Je lui en donnerais. Je l’aime, moi, ce garçon. Je l’ai adopté, cordialement parlant. Je lui offrirais ma fille…
Mme Vernet : Tu vas vite.
M. Vernet : Nous n’en avons pas. Mais si j’en avais une !… J’ai été plus gueux que lui, et nous voilà riches, au point que nous n’arrivons pas à dépenser nos rentes. Je dirais à Henri : Prenez ma fille et sa dot.
Mme Vernet : S’ils s’aimaient d’abord.
M. Vernet : Bien entendu, l’affection avant tout.
Mme Vernet : Et tu dirais cela à un jeune homme sans position ?
M. Vernet : Un beau mariage est une position. Oh ! Julie, aurais-tu fini par prendre, à force de vivre avec un bourgeois comme moi, mes idées bourgeoises ?
Mme Vernet : Mais, Victor, j’y aurais gagné. Tes idées, tu le prouves ce soir, sont de bonnes et belles idées généreuses ; je t’en félicite.
M. Vernet, il embrasse madame Vernet : Tu sais bien que c’est toi qui me les as données. On sonne. Le voilà !
Mme Vernet : Ce doit être plutôt ma sœur avec notre nièce.
M. Vernet : Non, non. C’est un coup de timbre d’homme d’épée, ça ! Et Honorine ne va pas ouvrir ! (Il appelle, par la baie du salon, dans la galerie.) Honorine !
Poids | 175 g |
---|---|
Dimensions | 10 × 138 × 204 mm |
Disponible | Oui |
Genre | Théâtre |
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