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La lutte des classes en France
Karl Marx
138 x 204 mm – 130 pages – Texte – Noir et blanc – Broché
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La lutte des classes en France
Karl Marx
138 x 204 mm – 130 pages – Texte – Noir et blanc – Broché
Du 13 juin 1849 au 10 mars 1850
Le 20 décembre, la tête de Janus de la République constitutionnelle n’avait encore montré qu’une de ses faces, la face exécutive sous les traits indécis et plats de Louis Bonaparte : le 29 mai 1849, elle montra sa seconde face, la législative, sillonnée des rides qu’y avaient laissées les orgies de la Restauration et de la monarchie de Juillet. Avec l’Assemblée nationale législative, la République constitutionnelle apparaissait achevée, c’est-à-dire sous sa forme étatique républicaine où la domination de la classe bourgeoise est constituée, la domination commune des deux grandes factions royalistes qui forment la bourgeoisie française, les légitimistes et les orléanistes coalisés, le parti de l’ordre. Tandis que la Ré- publique française devenait ainsi la propriété de la coalition des partis royalistes, la coalition européenne des puissances contre-révolutionnaires entreprenait, dans le même mouvement, une croisade générale contre les derniers asiles des révolutions de Mars. La Russie faisait irruption en Hongrie, la Prusse marchait contre l’armée constitutionnelle de l’Empire et Oudinot bombardait Rome. La crise européenne approchait manifestement d’un tournant décisif. Les yeux de toute l’Europe étaient fixés sur Paris, les yeux de tout Paris sur l’Assemblée législative.
Le 11 juin, Ledru-Rollin monta à la tribune, il n’y fit point de discours, il formula un réquisitoire contre les ministres, nu, sans apparat, fondé sur les faits, concentré, violent.
L’attaque contre Rome est une attaque contre la Constitution, l’attaque contre la République romaine, une attaque contre la République française. L’article 5 de la Constitution est ainsi conçu : « La République française n’emploie jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple », et le président dirige l’armée française contre la liberté romaine. L’article 54 de la Constitution interdit au pouvoir exécutif de déclarer aucune guerre sans le consentement de l’Assemblée nationale. La décision de la Constituante du 8 mai ordonne expressément aux ministres de ramener le plus rapidement possible l’expédition romaine à sa détermination primitive, elle leur interdit donc tout aussi expressément la guerre contre Rome — et Oudinot bombarde Rome. Ainsi, Ledru-Rollin appelait la Constitution elle-même comme témoin à charge contre Bonaparte et ses ministres. À la majorité royaliste de l’Assemblée nationale il jetait à la face, lui, le tribun de la Constitution, cette déclaration menaçante : « Les républicains sauront faire respecter la Constitution par tous les moyens, même par la force des armes ! » « Par la force des armes ! » répéta le centuple écho de la Montagne. La majorité répondit par un tumulte effroyable. Le président de l’Assemblée nationale rappela Ledru-Rollin à l’ordre. Ledru-Rollin répéta sa déclaration provocante et déposa finalement sur le bureau du président la proposition de mise en accusation de Bonaparte et de ses ministres. L’Assemblée nationale, par 361 voix contre 203, déci- da de passer purement et simplement à l’ordre du jour sur le bombardement de Rome.
Ledru-Rollin croyait-il pouvoir battre l’Assemblée nationale par la Constitution et le président par l’Assemblée nationale ?
La Constitution interdisait, il est vrai, toute attaque contre la liberté des pays étrangers, mais ce que l’armée française attaquait à Rome, ce n’était pas, selon le ministère, la « liberté », mais le « despotisme de l’anarchie ». En dépit de toutes les expériences de l’Assemblée constituante, la Montagne n’avait-elle pas encore compris que l’interprétation de la Constitution n’appartenait pas à ceux qui l’avaient faite, mais unique- ment encore à ceux qui l’avaient acceptée ? Qu’il fallait que sa lettre fût interprétée dans son sens viable et que le sens bourgeois était son seul sens viable ? Que Bonaparte et la majorité royaliste de l’Assemblée nationale étaient les interprètes authentiques de la Constitution, comme le curé est l’interprète authentique de la Bible, et le juge l’interprète authentique de la loi ? L’Assemblée nationale fraîchement issue des élections générales devait-elle se sentir liée par les dispositions testamentaires de la Constituante morte dont un Odilon Barrot avait brisé la volonté en pleine vie ? En se référant à la décision de la Constituante du 8 mai, Ledru-Rollin avait oublié que cette même Constituante avait rejeté le 11 mai sa première proposition de mise en accusation de Bonaparte et des ministres, qu’elle avait acquitté le président et les ministres, qu’elle avait ainsi sanctionné comme « constitutionnelle » l’attaque contre Rome, qu’il ne faisait qu’interjeter appel contre un jugement déjà rendu et qu’il en appelait de la Constituante républicaine à la Législative royaliste ? La Constitution fait appel elle-même à l’insurrection en appelant, dans un article spécial, chaque citoyen à la défendre. Ledru-Rollin s’appuyait sur cet article. Mais les pouvoirs publics ne sont-ils pas également organisés pour protéger la Constitution, et la violation de la
Constitution ne commence-t-elle pas seulement à partir du moment où l’un des pouvoirs publics constitutionnels se rebelle contre l’autre ? Et le président de la République, les ministres de la République, l’Assemblée nationale de la République étaient dans l’accord le plus parfait.
Ce que la Montagne cherchait, le 11 juin, c’était une « insurrection dans les limites de la raison pure », c’est-à-dire une insurrection purement parlementaire. Intimidée par la perspective d’un soulèvement armé des masses populaires, la majorité de l’Assemblée devait briser dans Bona- parte et ses ministres, sa propre puissance et la signification de sa propre élection. La Constituante n’avait-elle pas cherché de façon analogue à casser l’élection de Bonaparte, quand elle insistait avec tant d’acharne- ment pour le renvoi du ministère Barrot-Falloux ?
Ni les exemples d’insurrections parlementaires du temps de la Convention ne manquaient où avaient été renversés d’un seul coup, de fond en comble, les rapports de majorité à minorité – et pourquoi la jeune Montagne n’aurait-elle pas réussi à faire ce qui avait réussi à l’ancienne ? Ni les conditions du moment ne semblaient défavorables à une telle entreprise. L’agitation populaire avait atteint à Paris un degré inquiétant, l’armée ne semblait pas, d’après ses votes, bien disposée pour le gouverne- ment, la majorité législative elle-même était encore trop récente pour s’être consolidée, et, au surplus, elle était composée de gens âgés. Si une insurrection parlementaire réussissait à la Montagne, le gouvernail de l’État tombait immédiatement entre ses mains. De son côté, la petite bourgeoisie démocrate, comme toujours, ne désirait rien de plus impatiemment que de voir se livrer la lutte par-dessus sa tête, dans les nuages, entre les esprits défunts du Parlement. Enfin, tous deux, la petite bourgeoisie démocrate et ses représentants, la Montagne, par une insurrection parlementaire, réalisaient leur grand objectif : briser la puissance de la bourgeoisie sans enlever ses chaînes au prolétariat, ou sans le faire apparaître autrement qu’en perspective ; le prolétariat aurait été utilisé sans qu’il devînt dangereux.
Après le vote du 11 juin de l’Assemblée nationale eut lieu une entrevue entre quelques membres de la Montagne et des délégués des sociétés ouvrières secrètes. Ces dernières insistèrent pour qu’on déclenchât un mouvement le soir même. La Montagne rejeta résolument ce plan. Elle ne voulait à aucun prix se laisser enlever des mains la direction ; ses alliés lui étaient aussi suspects que ses adversaires, et avec raison. Le souvenir de juin 1848 agitait de façon plus vive que jamais les rangs du prolétariat parisien. Celui-ci, cependant, était enchaîné à son alliance avec la Montagne. Cette dernière représentait le plus grand parti des départements, elle exagérait son influence dans l’armée, elle disposait de la partie démocratique de la garde nationale, elle avait derrière elle la puissance morale de la boutique. Commencer l’insurrection dans ce moment contre sa volonté, c’était pour le prolétariat, décimé d’ailleurs par le choléra, chassé de Paris en masse par le chômage, renouveler inutilement les journées de juin 1848 sans la situation qui avait imposé ce combat désespéré. Les délégués prolétariens firent la seule chose rationnelle : ils firent prendre l’engagement à la Montagne de se compromettre, c’est-à-dire de sortir des limites de la lutte parlementaire dans le cas où son acte d’accusation serait rejeté. Pendant tout le 13 juin, le prolétariat conserva cette attitude d’observation sceptique et il attendit un corps à corps in- évitable engagé sérieusement, sans retour entre la garde nationale démocrate et l’armée pour se jeter alors dans la bataille et pousser rapidement la révolution par-delà le but petit-bourgeois qu’on lui assignait. En cas de victoire, on avait déjà constitué la Commune prolétarienne à mettre à côté du gouvernement officiel. Les ouvriers parisiens avaient appris à l’école sanglante de juin 1848.
Poids | 195 g |
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Dimensions | 11 × 138 × 204 mm |
Disponible | Oui |
Genre | Écrits politiques |
Édition numérique | Non, Oui |
Édition papier | Non, Oui |
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