clelie

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Clélie, histoire romaine – Tome 2/10 – Tarquin

Madeleine de Scudéry

138 x 204 mm – 214 pages – Texte – Noir et blanc – Broché

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Description

L’ensemble des 10 tomes de Clélie, histoire romaine, a été publié entre 1654 et 1660, signé par le frère de Madeleine de Scudéry.
Cette présente édition de 2022 rassemble le texte intégral de ce roman précieux publié en plein âge baroque. Seuls certains termes ont été actualisés et certains aspects de la structure du texte modernisés, restant au plus près du texte original tout en favorisant sa lecture.

 

 

Comme l’amour était la plus forte dans le cœur d’Aronce, il en revenait toujours à Clélie et trouvant son intérêt à tout ce qu’il avait à faire, on peut dire qu’il pensait toujours à elle, sans pouvoir presque penser à autre chose. Le Prince de Numidie de son côté, ne songeait non plus que lui, qu’à l’admirable Clélie, et il souhaitait avec passion de pouvoir revoir Aronce, pour tâcher de se consoler en l’entretenant de son amour. Pour la Princesse des Léontins, elle avait tant de divers sujets de s’entretenir elle-même, que si elle n’eût pas été infiniment généreuse, elle n’eût pu trouver le temps de penser aux malheurs d’Aronce comme elle faisait. Célère, en son particulier, n’ayant alors nulle passion violente dans le cœur et étant plus capable d’amitié que d’amour, ne songeait qu’à soulager le malheureux Aronce, de sorte que se joignant à Sicanus, à Aurélie, à Nicius et à Marcia, qui n’avaient autre pensée, ils ne faisaient tous ensemble que raisonner sur l’état présent des choses. Mais à la fin, les amis de Porsenna qu’on attendait étant arrivés, Sicanus les présenta à Aronce, après que Nicius et Marcia leur eurent appris toutes les choses qui leur pouvaient faire voir avec certitude qu’il était effectivement fils de Porsenna. Si bien que, regardant alors l’état des affaires, il y eut une assez grande contestation entre eux. Il y en avait qui disaient qu’on ne pouvait trop tôt faire connaître Aronce à Mézence après le service qu’il lui avait rendu, mais, pour Sicanus, il disait au contraire qu’on ne le pouvait faire sans exposer Aronce, et que pour agir prudemment, il fallait attendre que le Prince de Pérouse l’aimât pour son propre mérite, et qu’il était même à propos de ne le faire pas connaître qu’ils ne fussent en état de se pouvoir opposer à Mézence, s’il voulait être injuste. Un autre de la compagnie qui raisonnait d’une autre sorte, voulait qu’Aronce s’allât jeter dans Clusium, qu’il s’y fît reconnaître et qu’après s’en être emparé, il envoyât dire à Mézence qui il était, et qu’il envoyât lui demander la vie et la liberté du Roi son père.

Mais Aronce n’eût pas plutôt entendu cet avis qu’il s’y opposa, parce qu’il lui sembla qu’il mettait trop sa vie en sûreté et qu’il exposait trop celle de Porsenna. Joint qu’étant persuadé que Clélie était dans les États du Prince de Pérouse, il eût eu bien de la peine à s’en éloigner. De sorte qu’après avoir examiné la chose avec soin, il fut résolu que dès qu’Aronce serait guéri, il irait à Pérouse, et qu’il n’oublierait rien pour se faire aimer de Mézence et de toute sa Cour. Qu’en attendant, il s’assurerait tous les amis de Porsenna et les préparerait à s’unir et à prendre les armes s’il en était besoin ! Qu’on entretiendrait quelque intelligence dans Clusium, que la Princesse des Léontins ferait ce qu’elle pourrait pour engager Tiberinus à servir Aronce, quand l’occasion s’en présenterait, et que pour le pouvoir mieux faire, elle serait suppliée de vouloir quitter son humeur solitaire pour aller à Pérouse dès qu’Aronce serait en état d’y aller. Si bien que, dès que ce conseil secret fut tenu, les amis de Porsenna se séparèrent et furent chacun de leur côté exécuter ce qui avait été résolu, à la réserve de Nicius et de Marcia qui demeurèrent cachés chez Sicanus jusqu’à ce qu’il fût temps qu’ils se montrassent pour pouvoir servir à la reconnaissance d’Aronce.

Cependant, ce prince avait une douleur étrange de ne pouvoir rien apprendre de Clélie, et il était, de plus, en un embarras terrible pour ce qui regardait le Prince de Numidie. Mais malgré toutes ces inquiétudes qui devaient retarder sa guérison, il guérit pourtant beaucoup plus promptement qu’on ne l’avait espéré. Le Prince de Numidie se porta lui aussi mieux qu’on n’avait pensé, si bien que Célère ne voyant plus rien qui pût empêcher ces deux rivaux de se voir, s’en trouva assez inquiété, car il savait que le Prince de Numidie ignorait la passion d’Aronce pour Clélie, et qu’il mourait d’envie d’entretenir son ami de celle qu’il avait dans l’âme. Il savait, au contraire d’Aronce, qu’Aderbal aimant celle qu’il aimait, il ne le pouvait plus aimer. Il jugeait même qu’il y aurait du danger à apprendre au Prince de Numidie la vérité de la chose, et à confier le secret d’un rival à un rival ! Joint qu’il était encore persuadé que cette confiance serait inutile et que quand Aderbal aurait su et la qualité, et l’amour d’Aronce, il n’aurait pas changé de sentiments pour Clélie. De sorte que le conseil qu’il donnait à Aronce était de déguiser ses sentiments avec ce prince, car enfin, lui disait Célère, « que vous importe qu’Aderbal aime Clélie, tant qu’il ne la verra pas et qu’il ne saura pas seulement où elle est ? Souffrez donc qu’il vous raconte son amour pour elle, et, pour l’éloigner de vous, souffrez même que je lui donne quelque faux avis de Clélie afin qu’il l’aille chercher, et que vous soyez délivré de la peine que sa présence vous va donner.

– Quoi ? Célère, me dit-il, vous croyez que je puisse souffrir qu’Aderbal me vienne conter qu’il aime Clélie, qu’il l’aimera toujours, qu’il a dessein de la chercher par toute la Terre, de l’arracher d’entre les bras d’Horace, et de ne la céder à personne ! Quoi ! Célère ! vous voudriez que j’allasse souffrir que vous l’éloignassiez de moi par un faux avis, et que vous le rapprochassiez peut-être de Clélie ? Puisque nous ne savons où elle est, qui vous a dit que vous ne l’enverriez pas du côté où il la pourrait trouver ? Non, non, Célère, ajouta-t-il, j’ai bien des sentiments plus bizarres ! Car encore qu’il y ait des instants où je voudrais ne voir jamais le Prince de Numidie puisqu’il est mon rival, je ne laisse pas de ne vouloir point le perdre de vue, jusqu’à ce que je sache où est Clélie. Cependant, j’ai une répugnance horrible à lui déguiser mes sentiments et je ne sais pourtant ni comment les lui dire, ni même s’il est à propos de les lui faire savoir. C’est pourquoi, il faut, s’il vous plaît, laisser la chose au hasard car peut-être quand je le verrai, lui dirai-je ce que je ne crois pas être capable de lui dire.»

Et en effet Madame, deux jours après cette conversation, quoique le Prince de Numidie fut beaucoup plus faible et plus incommodé qu’Aronce, il vint à sa chambre lui rendre une visite et il y vint si inopinément que personne ne sachant qu’il y dût aller, il trouva Aronce seul, car j’étais alors avec la Princesse des Léontins et Aurélie. Vous pouvez vous imaginer aisément quelle fut la surprise d’Aronce ! Il le reçut pourtant civilement mais ne répondit pas avec sa franchise ordinaire aux caresses que le Prince de Numidie lui fit. Il voulut toutefois commencer de le remercier de la peine qu’il prenait de le venir voir, mais Aderbal l’interrompant obligeamment : « Non, non ! lui dit-il, mon cher Aronce, il ne faut point me remercier de ce que je fais et si vous saviez bien mes véritables sentiments, vous devriez peut-être vous en plaindre car enfin, la visite que je vous rends n’est pas une simple visite d’amitié, puisque l’amour que j’ai pour Clélie la partage avec l’affection que j’ai pour vous, et que je ne vous cherche pas moins pour vous faire le confident de ma passion, que pour être celui de la tristesse que je vis sur votre visage quand vous me fîtes la grâce de me visiter, aussi bien que de celle que je vois encore dans vos yeux !

– Seigneur, reprit froidement Aronce, je suis si peu en état d’être le confident de votre amour, que, si vous m’en croyez, vous ne me choisirez pas pour cela.

– Vous avez pourtant tout ce qu’il faut pour en être un très agréable et très fidèle, répliqua Aderbal, car vous avez infiniment de l’esprit, vous avez le cœur tendre, vous connaissez Clélie aussi bien que moi, vous avez de l’amitié pour elle et vous m’aimez sans doute encore puisque l’absence n’a pas diminué l’affection que j’ai pour vous ! Je veux juger de votre cœur par le mien et croire que vous m’aimez autant que je vous aime, que je puis vous confier tout le secret de mon âme et vous découvrir même toutes mes faiblesses.

– Il est certain Seigneur, reprit Aronce, que j’ai le cœur tendre et que je connais Clélie, mais hélas ! ajouta-t-il par un excès d’amour, de sincérité et de jalousie tout ensemble, il n’est pas également vrai que j’ai de l’amitié pour elle.

– Quoi ? reprit Aderbal, il serait arrivé quelque changement entre vous et vous pourriez haïr cette admirable personne ?

– Non Seigneur, répliqua-t-il, mais je l’aime comme vous l’aimez ! Jugez après cela si je puis être votre confident et si je puis vous donner une preuve plus héroïque de mon amitié que celle que je vous donne, en vous apprenant que j’ai de l’amour pour Clélie !

– Ha ! Aronce ! s’écria le Prince de Numidie, cette preuve d’amitié est bien cruelle car enfin, puisque vous aimez Clélie, je ne demande plus pourquoi je n’en ai pu être aimé ! »

Après cela Aderbal se tut et fut quelque temps sans parler, cependant Aronce sentit alors quelque chose qui le consola, de pouvoir penser que son rival ne le regarderait plus comme le confident de son amour. De sorte qu’en étant devenu plus hardi : « Je ne sais Seigneur, lui dit-il, si vous devez m’accuser d’être cause que Clélie n’a pas reconnu votre affection, mais je sais bien que je ne suis pas heureux et que selon toutes les apparences, je ne le serai de longtemps. J’ai pourtant cru que connaissant votre générosité, je devais vous dire ingénument que j’aimais Clélie dès que j’étais à Carthage, que je l’ai aimée à Capoue et qu’ayant eu le bonheur de rendre quelques services considérables à Clélius, il m’a donné Clélie que j’étais près d’épouser, lorsqu’un effroyable tremblement de Terre nous sépara. Ainsi pouvant raisonnablement la regarder comme étant à moi, puisque Clélius et Sulpicie me l’ont donnée et qu’elle ne s’est pas opposée à leur volonté, j’ai cru que je devais vous apprendre l’état des choses et que je manquerais à l’exacte générosité si je vous déguisais mes sentiments.

– Quoi ? Aronce, lui dit alors Aderbal, Clélie vous a été promise par Clélius et par Sulpicie ? Et Clélie elle-même s’est donnée à vous ?

– Oui Seigneur, reprit-il, et c’est ce qui me rend encore plus misérable

– Mais vous savez donc que vous êtes Romain ? reprit Aderbal, car quand elle était à Carthage, Clélius ne la voulait donner qu’à un Romain et il parlait comme un homme qui l’aurait refusée à tous les rois de la Terre, pour la donner à un simple citoyen de Rome !

– Il est vrai, répliqua Aronce, que la chose était ainsi quand nous étions à Carthage, mais il est vrai aussi que quoique je ne sois pas Romain, je n’ai pas laissé d’être en état de me voir heureux si la Fortune l’eût voulu.

– Après ce que vous venez de m’apprendre, répliqua Aderbal, je sais bien ce que je devrais vous dire ! Mais à vous parler sincèrement Aronce, je ne sais si je vous le dirai et je me trouve si malheureux de trouver mon rival en la personne de mon ami et d’apprendre que je ne puis raisonnablement prétendre plus rien de Clélie, que je n’oserais répondre de mes sentiments et j’en suis si peu maître, ajouta-t-il en se levant, que de peur de dire quelque chose dans les premiers transports de ma douleur dont je me repentirais toute ma vie, il faut que je vous quitte sans savoir quels seront mes sentiments quand je vous reverrai.

– Ha ! Seigneur ! reprit Aronce, votre vertu me fait honte ! Et ranimant la mienne, je veux faire tout ce que je pourrai pour être tout à la fois votre rival et votre ami.

– J’ai le même dessein, répliqua le Prince de Numidie, mais je ne sais si je le pourrai exécuter et si je ne serai pas tout à la fois et le plus misérable, et le moins généreux.»

Après cela, Aderbal se retira sans savoir lui-même quels étaient les sentiments qu’il avait pour Aronce car il était si affligé d’avoir appris qu’il ne pouvait raisonnablement prétendre plus rien de Clélie, qu’il n’était pas maître de son esprit. Aronce de son côté ne pouvait s’empêcher d’être marri d’avoir un rival si honnête homme, néanmoins, comme Horace était alors le plus légitime objet de sa haine et qu’il ne voyait nulle apparence qui pût vraisemblablement lui faire craindre que le Prince de Numidie lui pût jamais nuire, sa vertu surmonta à la fin tous les mouvements d’aversion que son amour lui donnait pour ce prince et faisant un grand effort, il fut le visiter le lendemain, au matin. De sorte que le Prince de Numidie étant touché de la générosité de son rival et ne voulant pas lui céder l’avantage d’être plus généreux que lui, il le reçut avec beaucoup de civilité et il se fit entre eux une conversation si pleine de grands sentiments, qu’ils eurent de l’admiration l’un pour l’autre, quoiqu’ils sentissent dans leur cœur une agitation qui les portait secrètement plus à se haïr, qu’à s’aimer. Depuis cela, ces deux rivaux se virent encore à l’appartement de la Princesse des Léontins et à celui d’Aurélie, mais ils ne se virent plus sans témoin. Il est vrai qu’ils ne furent pas longtemps en puissance de se voir, car leur guérison entière avançant tout d’un coup, ils furent contraints de se séparer. Il fallut qu’Aronce allât à Pérouse pour commencer de travailler à la conservation de la vie du Roi son père. Le Prince de Numidie ne trouvant nul espoir raisonnable à avoir, prit la résolution de s’en aller errer par le Monde, sans chercher même Clélie puisqu’il n’y pouvait plus prétendre, et il la prit principalement afin de voir si en changeant de lieu il ne changerait point de sentiment et ne retrouverait point le repos qu’il avait perdu. Mais comme il lui eut été difficile de dire adieu à son rival d’une manière dont sa vertu eut été satisfaite, il ouvrit son cœur à Célère qui, étant bien aise que deux si grands princes ne se brouillassent point, approuva l’intention qu’il avait de partir sans voir Aronce qui se voyait sur le point d’aller à Pérouse, et se trouvait dans un assez grand embarras. Comme il ne savait où était Clélie, il eut volontiers souhaité, quoique la vue d’un rival ne soit pas agréable, que le Prince de Numidie y eût été aussi bien que lui, mais il ne fut pas à la peine de lui faire cette proposition, parce qu’Aderbal fut trouver, le même soir, Sicanus et Aurélie pour leur dire adieu et pour leur rendre grâce de l’assistance qu’il avait reçue chez eux ; qu’ensuite il partit dès la première pointe du jour comme il avait donné ordre à son équipage. Il ne partit pourtant qu’après avoir laissé deux lettres, avec ordre qu’on les donnât à Célère. La première était pour Clélie et la seconde était pour lui, conçue en ces termes :

Je vous ai vu si obligeamment touché de mon malheur, quoique vous soyez le plus cher des amis de mon rival, que je ne fais nulle difficulté de vous demander une grâce. Il est vrai que c’est une grâce d’une étrange nature, puisque je souhaite ardemment que vous ne me la puissiez jamais rendre. Je vous conjure donc de vouloir garder la lettre que je vous envoie pour l’admirable Clélie, mais, afin que la fidélité que vous devez à mon rival, ne soit pas offensée de cette commission que je vous donne, je ne vous oblige à la rendre à cette merveilleuse fille, que lorsqu’elle aura rendu mon rival heureux. Après cela, j’ose espérer que vous ne refuserez pas de me rendre un office que je ne vous demande que lorsque la Fortune m’aura mis en état de mériter la compassion de mon propre rival. Je ne vous dis rien pour lui car, que vous pourrait dire un homme qui trouve en la personne d’Aronce, tout ce qui peut causer une grande amitié et une grande haine ? Adieu, plaignez-moi puisque vous le pouvez sans offenser votre ami et croyez que vous ne pourrez jamais plaindre personne qui mérite plus d’être plaint que je le mérite.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cl%C3%A9lie

Informations complémentaires

Poids 310 g
Dimensions 18 × 138 × 204 mm
Disponible

Oui

Genre

Récit historique, Roman

Version papier ou numérique ?

Version numérique (Epub ou PDF), Version papier

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