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Souvenirs (tome 1) –

Louise Élisabeth Vigée-Lebrun

138 x 204 mm – 174 pages – Texte et reproductions – Noir et blanc – Broché

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UGS : 9782355832567-1 Catégories : , ,

Description

Il n’existe pas une ville au monde dans laquelle on puisse passer le temps aussi délicieusement qu’à Rome, y fût-on privé de toutes les ressources qu’offre la société. La promenade seule dans ces murs est une jouissance ; car on ne se lasse point de revoir ce Colisée, ce Capitole, ce Panthéon, cette place Saint-Pierre avec sa colonnade, sa superbe pyramide, ses belles fontaines que le soleil éclaire d’une manière si magnifique, que souvent l’arc-en-ciel se joue sur celle qui est à droite en entrant. Cette place est d’un effet surprenant au coucher du soleil et au clair de lune ; que ce fût ou non mon chemin, je me plaisais alors à la traverser.
Ce qui m’a beaucoup étonnée à Rome, c’est de trouver le dimanche matin au Colisée une quantité de femmes des plus basses classes extraordinairement parées, couvertes de bijoux, et portant aux oreilles d’énormes girandoles en diamants faux. C’est aussi dans cette toilette qu’elles se rendent à l’église, suivies d’un domestique, qui, très souvent, n’est autre que leur mari ou leur amant, dont l’état est presque toujours celui de valet de place. Ces femmes ne font rien dans leur ménage ; leur paresse est telle, qu’elles vivent misérables et deviennent pour la plupart des femmes publiques. On les voit à leurs fenêtres dans les rues de Rome, coiffées avec des fleurs, des plumes, fardées de rouge et de blanc ; le haut de leur corsage, que l’on aperçoit, annonce une fort grande parure ; en sorte qu’un amateur novice, qui veut faire connaissance avec elles, est tout surpris, quand il entre dans leurs chambres, de les trouver seulement vêtues d’un jupon sale.
Les plaisantes Romaines dont je parle n’en jouent pas moins les grandes dames, et quand le temps de se rendre aux «villa» arrive, elles ferment avec soin leurs volets, pour faire croire qu’elles sont aussi parties pour la campagne.
On m’a assuré que toutes les femmes à Rome avaient sur elles un poignard ; je ne crois cependant pas que les grandes dames en portent ; mais il est certain que la femme de Denis le peintre en paysage, chez qui j’ai logé, et qui était Romaine, m’a fait voir celui qu’elle portait constamment. Quant aux hommes du peuple, ils ne marchent jamais sans en être munis, ce qui amène souvent des accidents bien graves.
Trois jours après mon arrivée, par exemple, j’entendis le soir, dans la rue, des cris suivis d’un grand tumulte. J’envoyai savoir ce qui se passait, et l’on revint me dire qu’un homme venait d’en tuer un autre avec son poignard. Comme ces manières d’agir m’effrayaient beaucoup pour les étrangers, on m’assura que les étrangers n’avaient rien à craindre, qu’il ne s’agissait jamais que de vengeance entre compatriotes. Dans le cas dont il est question notamment, il y avait dix ans que l’assassin et l’homme assassiné s’étaient pris de querelle : le premier venait de reconnaître son adversaire, et l’avait frappé de son poignard ; ce qui prouve combien de temps un Italien peut conserver sa rancune.
À coup sûr, les mœurs de la classe élevée sont plus douces, car la haute société est à peu près la même dans toute l’Europe. Toutefois, j’en serais assez mauvais juge ; car à l’exception des rapports relatifs à mon art, et des invitations qui m’étaient adressées pour des réunions nombreuses, j’ai eu peu de moyens de connaître les grandes dames romaines. Il m’est arrivé ce qui arrive naturellement à tout exilé, c’est de rechercher à Rome, pour société intime, celle de mes compatriotes.
Pendant les années 1789 et 1790, cette ville était pleine d’émigrés français que je connaissais pour la plupart, ou avec lesquels je fis bientôt connaissance. Au nombre de ces voyageurs, qui plus tôt ou plus tard venaient de quitter la France, je citerai le duc et la duchesse de Fitz-James avec leur fils, que nous voyons jouir aujourd’hui d’une si belle célébrité, la famille des Polignac ; je m’abstins néanmoins de fréquenter ceux-ci, dans la crainte d’exciter la calomnie car on n’aurait pas manqué de dire que je complotais avec eux, et je crus devoir éviter cela en considération des parents et des amis que j’avais laissés en France.
Nous vîmes arriver aussi la princesse Joseph de Monaco, la duchesse de Fleury, et une foule d’autres personnes marquantes. La princesse Joseph avait une charmante figure, beaucoup de douceur et d’amabilité. Pour son malheur, hélas, elle ne resta pas à Rome. Elle voulut retourner à Paris afin d’y soigner le peu de fortune qui restait à ses enfants, et s’y trouva à l’époque de la terreur. Arrêtée, condamnée à mort, on lui conseilla vainement de se dire grosse ; son mari n’étant plus en France, elle n’y consentit pas et fut conduite à l’échafaud. Ce qui désespère, quand on pense à cette aimable femme, c’est que le 9 thermidor approchait et qu’il ne lui fallait que gagner fort peu de temps.
Celle que je distinguai bientôt parmi toutes les dames françaises qui se trouvaient à Rome, était la charmante duchesse de Fleury, très jeune alors ; la nature semblait s’être plu à la combler de tous ses dons. Son visage était enchanteur, son regard brûlant, sa taille celle qu’on donne à Vénus, et son esprit supérieur. Nous nous sentîmes entraînées à nous rechercher mutuellement ; elle aimait les arts et se passionnait comme moi pour les beautés de la nature ; enfin je trouvai en elle une compagne telle que je l’avais souvent désirée.
Nous allions habituellement ensemble passer nos soirées chez le prince Camille de Rohan, qui était alors ambassadeur de Malte et grand commandeur de l’ordre ; tous les soirs il réunissait chez lui les étrangers les plus distingués ; la conversation était très animée et très intéressante ; chacun y parlait de ce qu’il avait vu dans la journée, et le goût, l’esprit de la duchesse de Fleury brillait par-dessus tout.
Cette femme si séduisante me semblait dès lors exposée aux dangers qui menacent tous les êtres doués d’une imagination vive et d’une âme ardente ; elle était tellement susceptible de se passionner qu’en songeant combien elle était jeune, combien elle était belle, je tremblais pour le repos de sa vie ; je la voyais souvent écrire au duc de Lauzun, qui était bel homme, plein d’esprit et très aimable, mais d’une grande immoralité, et je craignais pour elle cette liaison, quoique je puisse penser qu’elle était fort innocente.
Le duc de Lauzun était resté en France ; j’ignore s’il a pris une part active à la révolution ; ce qui est certain, c’est qu’il a été guillotiné. Quant à la duchesse de Fleury, elle est revenue à Paris avant moi. Les passions y étaient encore débordées. Tout en arrivant, elle fit divorce avec son mari, puis étant devenue très amoureuse de M. de Montrond, homme à bonne fortune, jeune encore, et très spirituel, elle l’épousa. Tous deux quittèrent le monde pour aller jouir de leur bonheur dans la solitude, mais, hélas, la solitude tua l’amour et ils ne revinrent à Paris que pour divorcer.
La dernière passion qu’elle prit s’alluma pour un frère de Garat, qui, m’a-t-on dit, la traitait cruellement ; enfin elle ne retrouva la paix et du bonheur qu’à la restauration qui lui ramena son père, le comte de Coigny, dans les bras duquel elle alla se jeter pour le soigner jusqu’à sa mort ; avant la rentrée des Bourbons, étant allée voir un jour l’empereur Bonaparte, celui-ci lui dit brusquement : «Aimez-vous toujours les hommes ?» «Oui, sire, quand ils sont polis», répondit-elle.
L’arrivée à Rome de tant de personnes qui apportaient des nouvelles de la France me faisait éprouver chaque jour des émotions, souvent bien tristes, et quelquefois bien douces : on me raconta, par exemple, que peu de temps après mon départ, comme on suppliait le roi de se faire peindre, il avait répondu : «Non, j’attendrai le retour de madame Lebrun, pour qu’elle fasse mon portrait en pendant à celui de la reine. Je veux qu’elle me peigne en pied, donnant l’ordre à M. de La Pérouse d’aller faire le tour du monde.»

Informations complémentaires

Poids 210 g
Dimensions 17 × 138 × 204 mm
Disponible

Oui

Genre

Écrit d'artiste, Souvenirs

Édition numérique

Non, Oui

Édition papier

Non, Oui

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